top of page
Marie-Paule Bargès / Philippe Poivert

Des sortilèges


Ô ! l'oméga
Les lèvres de l'enfant ovales de surprise
L'orange tranchée partagée avec vous
L'or tiède de la pluie
L'oblique après l'orage
Et l'ondée de vos doigts d'orfèvre
Sur mon visage offert
Oh ! onctueux orgasmes
Goût d'orgeat, goût d'olive
Oasis océane
L'oméga, l'origine
L'orbe de l'ombilic
Septième lettre ourlée d'organdi
Ondulant en orbite
Son aile ocellée d'oiseau.


Je nous orchestre.
Je vous source.


Ô ! testament olographe
Gravé à l'opinel dans l'écorce
Organique de l'arbre
Secret officieusement
Confié, pour vous, à l'oreille
De l'orme omniscient
Et cette once d'orgueil
Sous vos paupières d'ogive
Qui obscurcit votre oeil
Que j'adore !


Ô ! temps sacrés des augures
Heures oblongues qui s'allongent
Odyssées oniriques d'Ouzbeks
D'ores et déjà je sais ce qui m'est octroyé
Ostensiblement, j'oscille
Entre osmose et douces ombres.


Je sortilège l'eau.

 


*

Instantané(s) #10

Ça ne va pas très vite
non
ça ne va pas très vite...
doucement
je sombre
de près de loin
les arbres les immeubles
ne sont plus que des ombres
des ombres noires
qui s'allongent
et se fondent
les unes aux autres dentelées.


Avec les arbres les immeubles
dans les ombres
la nuit venant
les heures blanches s'allongent
tout contre
je sombre et me dilu(e)
les mots dits
les mots écrits
jamais ne touchent l'au-delà
jamais n'éprouvent l'invisible
ni ne te révèlent
à moi.


Ombre parmi d'autres ombres
ni de près ni de loin
jamais la vérité ne vient
réchauffer ma poitrine
animal sauvage indompté
derrière les arbres les immeubles
jamais la vérité nue et crue
n'est venue réchauffer
dans ma poitrine
mon cœur farouche
apprivoisé.


Les mots ne savent pas
ne savent plus ne savent rien
les mots jouent avec les mots
et les images mentent
ne savent plus dire les choses
ni d'assez près
ni assez contre
quand la nuit sombre
doucement sombre
je m'allonge contre
tout contre ma blessure
dans l'ombre de ton ombre
qui a fait vœux de silence.


Les arbres muets les immeubles
s'allongent côte à côte
la nuit venue
ombre devenue parmi les ombres
je m'endors
ça ne va pas très vite
non
ça ne va pas si vite
de diluer tant de silence
dans tous tes silences
ça ne va pas très vite
non
dans la nuit
de devenir une ombre
et n'être plus personne.


*

Les mots et... Toi


Oh ! ces poissons frissonnants
de vos salives entre mes cuisses.


Vos mots d'épaisseur
de nécessaire et de manque
vos mots de poussière et de lave
ma drogue dure
de rêve et d'errance
poudre blanche.


Vos mots qui laissent des traces
dans ma peau sur ma peau
dans mes plis mes replis
dans toutes mes profondeurs
sur toutes mes surfaces.


Vos mots divins de flèches
avec ces ailes bleutées
piquées sous les virgules
vos courtes phrases
qui lancent dans ma chair
des interrogations brûlantes.


Oh! vertigineuses exclamations
de votre langue dans ma bouche
votre langue douce-dure allant
pêcher dans mes jambages
l'or blanc et le miel suave.


Vos mots me crochètent
entre deux parenthèses
dans le ventre
et leurs points doux
rythment le tam-tam
de mon coeur en suspension
rythment mon souffle.


Vos mots m'enroulent autour du cou
une écharpe de dix doigts
me nouent un foulard de soie rouge.


Vos mots-mains m’enchaînent
dans de beaux draps vos mots sous-marins
me plongent en abîme
votre tout et votre toi unique
atteignent mon ensemble
et me touchent tant
que jusque dans les marges
je m'encre et je mouille de vous.


Oh! ces aubes blanches
ces mots de vous qui font briller
des étoiles neuves dans l'eau vive
cette source fraîche que j'ai de vous
dans le puits des nuits jusqu'au vertige.


Vos mots doux-fondants
que je bois à même la bouche
encore et encore
vos mots-doigts
vos mots de sexe
vos mots de jouir
apaisent ma soif
mon désir et ma faim.


Oh! vos mots
toujours
tellement
infiniment
que nous en oublions
les vieux astres et moi
toutes nos anciennes mémoires.


*

La fille

Un jour, une nuit, quelques heures elle oublie, elle danse comme avant, elle chante, elle s’agite. Elle marche dans la rue, côté soleil. Elle exhibe un peu sa peau, ses épaules, ses jambes.
Aimer à nouveau, elle n’y croit pas trop, mais elle se dit que
la vie continue et que ça vaut sûrement la peine.


Elle se dit qu’elle n’a pas envie de mourir, voyons !

Ni de s’éteindre encore, qu’elle n’y peut rien si le
ciel est si bleu, si beau et le vent tellement doux au visage.
Elle sait qu’il faut accepter l’évidence : ce lien qui serre un peu

le coeur et le corps, ces menottes dont il possède la clé.
Dans la cité chaude, trop vibrante, au soleil de midi, elle va
dans l’évaporation des fontaines, elle affronte la sécheresse
des choses et marche sur les ombres. Elle porte parfois des lunettes noires pour cacher ses yeux rougis qu’elle prend soin

de maquiller tout de même.
Il arrive qu’elle pleure mais, à présent, personne ne le voit.

Tout se passe dedans, entre elle et elle.
Pas besoin de mentir, elle est comme en paix ainsi, plus tranquille. Pas de témoin. C’est une sorte de victoire, toute petite, sur elle-même, sur les douleurs et le chagrin.


Cet attachement insensé qui défie les équilibres et qui la tient éloignée de l’Autre, inexorablement,
si loin… Lui, si loin à présent, qu’elle chérit… elle ne peut pas,

elle ne sait pas l’extirper de sa chair. Elle ne sait pas faire.
On le lui dit : « Tu ne sais pas faire ». On lui dit encore :

« Mais enfin, à quoi ça sert ? ». Elle s’en moque. Elle répond doucement : « Aimer, à quoi ça sert ?… oh ! à tout…, c’est ainsi que j’aime… ».


Elle scrute le ciel, les arbres, les immeubles.
Elle voudrait disparaître dans l’épaisseur des choses.
Elle file avec la foule, vers nulle part. Elle vit tout autant

que les autres. Écorchée un peu, oui, mais qu’importe.


Elle avance, le sourire aux lèvres, jusqu’à la nuit qui tombe.


*
 

Rosa Rosam Rosae


Elle savait déjà tant de choses, avec le temps qui se répète et se rabâche. Elle avait appris

beaucoup beaucoup de choses, bien assez, pensait-elle, pour tout ce qui est important et nécessaire :

parler, lire, écrire, aimer, aimer encore, aimer toujours et faire l'amour.


Elle savait faire ce que tout le monde sait faire, c'est-à-dire à peu près tout ce qui compte, à peu
près ce que tout le monde sait et elle le faisait à peu près bien, croyait-elle. Mais elle se trompait,
elle ne savait pas grand chose d'elle et de l'essentiel.


Un jour, un autre est venu avec sa langue, une autre langue. Une langue qu'elle ne connaissait pas.
Qu'elle n'avait jamais apprise. Une langue étrangère, une langue qu'elle n'avait jamais entendue
auparavant, mais qu'elle comprenait, une langue différente et surprenante. La langue nouvelle
avait tout chamboulé. Elle et sa vie.


La langue, d'abord, avait pénétré doucement les yeux. Les signes, noirs sur blanc, étaient entrés,
aspirés par les pupilles, et ils n'en étaient plus jamais ressortis.


Immédiatement séduit, son esprit s'en était emparé avidement. Elle avait fait son chemin, sans
forcer, la langue de l'étranger. Elle était parvenue au centre, au point névralgique. Elle s'était
installée dans la tête, dans la place, là, dans le cerveau, sans demander, si oui ou non… ceci cela…
Mine de rien, elle avait bousculé les convenances, les habitudes, les savoirs, les vieilles
connaissances, les a priori, les règles, les réticences,… Elle s'était assise, là, bien confortablement,
au centre, comme une reine, adoubée, souriante, confiante, maîtresse absolue en son royaume
sur ses sujets.
Et puis, descendant petit à petit, dans la bouche, dans la gorge, dans la poitrine, se roulant dans la
salive, cognant les dents, glissant contre les parois de chair humides et roses… la langue de l'autre
s'était mêlée, entortillée, à celle de la fille.


Elle prit corps et, pénétrant le corps, elle occupa de plus en plus d'espace, tant d'espace,

qu'il étaitdevenu dorénavant impossible à la fille de penser et de vivre, sans elle.


La langue l'avait embrassée. Et ce fut fait.


Il était trop tard pour désapprendre, pour méconnaître, pour faire semblant, pour oublier.

Elle l'avait sur le bout de la langue, sur le bout des doigts, elle l'avait à l'esprit, elle la savait
parfaitement, elle la connaissait par cœur, cette nouvelle langue, ces mots de l'autre, ces tournures,
ces articulations, ces silences, ces rythmes, courts et lents, ces ponctuations, ces respirations,

ce souffle…, elle en était emplie.


La langue la possédait, la possédait si bien qu'elle en rêvait.
Elle rêvait de la langue dans la langue.
De jour comme de nuit, elle en rêvait.


Ce langage de l'autre était devenu, à présent, quoi qu'elle fasse, dise ou pense, essentiel.


*

Instantané #13

Je t'ai donné le vent, tu l'as bu.
Je t'ai offert des quartiers d'orange.
Tu les a lancés comme des boomerangs
ensorceleurs de lunes.
J'ai puisé pour toi des chants à la source
et sur les rives volcaniques.
Toi, tu as multiplié les lignes d'horizon,
tu les as scellées les unes aux autres,
forgeant délicatement leur courbure.


Dans le feu des plaisirs, j'ai goûté ton corps
d'épaisseur et de manque.
Mots et mains volatiles tendus
vers toi pour que tu me saisisses.


Me prendras-tu enfin, amour ?
Et, que feras-tu de moi,
Toi, mon ange exquis des précipices ?


*

 T’écrire... Toi nu

« Avant l'écrivain, l'aède. Avant le roman, le conte. Avant l'écrit, la parole. Avant le langage,

la poésie qui nous fait croire que le mot pourrait bien être la chose. » J. B. Pontalis


Si émouvante est ta peau nue. C’est ainsi que je t’aime. Découverte bouleversante de toi, toujours.
De toi, nu, de ta peau offerte. Sans voix, désorientée, je suis en désordre. Esprit ébranlé, brouillé.
Gestes lents des noyades. Je plonge, corps lourd, chutant dans une excavation sans fond.

L'eau est douce. Le courant m'aspire. Submergée, paralysée, j'ai le feu aux joues. Agitée et fébrile

dedans, je suis mon ventre qui brûle, je suis dedans. Aveuglement. Rien d'autre n'existe. Flou tout autour.
Densité de l'air. Sidération. Effondrement des repères. Je suis l'accélération de mon pouls, de mon
souffle. Plus rien n'a d'importance. Vivre mourir, et vivre, et mourir, et vivre encore, partir et
revenir encore.


Viens. Reviens comme je t'aime. Nu.


Mes doigts tremblent quand ils écrivent ces mots-là : "toi nu", "toi, nu, pour moi".
Dans ce vêtement collé étroitement au corps, à la perfection, que j'appellerais solitude,

je suis toute entière contenue.
Quel temps sommes-nous ? Dans quel sens ? Qui est passé derrière le miroir ? Morcellements, cutup,
quoi encore ?
Silence tout autour quand toi, seulement, peau nue.
J'oublie la mort.


Ne sachant rien de ce que je veux, je sais pourtant que je te veux.
Le corps tremblant en sait plus que les mots.
Mon corps qui tremble sait mieux que moi.
Mon corps se moque des mots. Il veut.
Je te regarde, tu es nu, je frémis.
Sur la peau s'écrit le bouleversement.


Les mots sont impossibles à dire cette sorte d'amour, de désir pour toi, de toi nu.
Les mots s'absentent, ils ne savent pas l'au-delà, ne suffisent pas à dire la ruine et l'émerveillement.
Les mots sont en deçà du corps, du coeur vibrant, ils trahissent.
Les mots n'ont pas accès à cet affolement.
Je m'y essaie pour toi.
Je m'y essaie sans raison, sans cause, je m'y essaie sans fin.
Je tends à l'impossible en quelque sorte.
Je tisse pourtant, toujours au plus près et, toujours au plus près, je m'éloigne du chant,

de la matière, du noyau.
Les mots me dérivent de toi, me noient.
Dans l'eau, le feu couve.


Ce frémissement de ma peau, quand je découvre la tienne nue, ce tremblement, cet abandon,

parle de moi, parle du désir de toi.
Toi, l'autre, étranger, mon étrange, mon attirant, mon étrangement inquiétant.
Toi, sorti de l'ombre un jour.
Toi qui m'aveugles toujours.
Toi de ma bouche à ma bouche.
Toi de ma langue.
Toi de mes bégaiements.


Ce frémissement de la peau, ce désir qui s'affiche, venu des profondeurs, du centre, du noyau.
Ce frémissement d'avant le langage. Ce désir vieux de la nuit des temps.
Ce désir de toi, inextinguible. De toi, indéfiniment.
De toi qui mets le feu dedans, le rouge à mes joues.


C’est ainsi que je t’aime, entièrement. Je tremble de ce désir-là. Je t’aime nu. D'un amour qui se fait
et se défait de toi, qui ne saurait s'écrire plus justement qu'avec les lettres de ton nom, qui ne
saurait se dire mieux qu'en prononçant ton nom. Ton nom, absenté ici, secrètement, sous ma peau
frémissante, dans le noyau de mon corps tremblant. Ton nom.


*

T’écrire... les fontaines

Je traverse la ville en désordre.
Je scrute le ciel, les arbres, les immeubles.
Je file avec la foule, dans la rame, sous terre,
dans les rues, les jardins, sur les quais.


Pas d’orchestre place de la Comédie
seulement la lumière
qui sculpte les colonnes
fait danser les arcades
et les branches.


Il ne se passe rien square du Palais Royal,
une respiration
quelque part me suspend,
c'est la tienne
un instant, pour mémoire,
je te vois et la sens.


Un plaisir de toi sans toi,
léger et singulier,
qui se joue du temps et de l’espace.


J’entends à nouveau
le murmure des fontaines.


Rien ne manque,
ni de ta salive le goût
quand je cherchais ta langue,
ni la chaleur de tes doigts
qui contenaient ma main,
ni ta voix habile à tout rompre,
à défaire et refaire les plaisirs
qu’on se donne.


Aujourd'hui, tu n’es pas là
mais l'hiver s'en va
ton souffle dégèle les fontaines.


C’est un jour plein de lumière
où je vais seul(e).


Tu n'es pas là
et pourtant...
je te sens et te vois.


J’entends à nouveau
le murmure des fontaines.


Rien ne manque.


*

Quand Toi, tu, d’évidence

Je me penche sur la feuille
sur les lignes je me couche
où je peux donner
je te donne
ainsi je suis
puisque tu es
je m’étale sans façon
je me dessape lentement
je me défais les hauts les bas
je me pense et te pense
sans doute aucun
sur toi sur nous
je me fonds dans le papier
me découvre
d’évidence
je suis tu es
peau, chair, crâne, doigts, sexe… tout y passe.


Je détourne tes virgules
pointe ma langue
sur tes mots
je lèche autour
pour faire le vide
pour te contenir
tout entier
dans ma bouche
je te suspends
j’avale tes guillemets
me gave de tes blancs silences
tes mots, tes images m’aveuglent
pour moi tu es
d'évidence
peau, chair, crâne, doigts, sexe… tout y passe.


Je t'écoute entre les syllabes
tu susurres quand je tremble
je bégaie quand tu frisonnes
tu m’attaches peu à peu
à des riens
de tous mes côtés
tu me suspends
à tes dix doigts
tu m’aveugles
j'en perds haleine
tu me débordes dans les marges
et recolles mes fragments
sur ton corps éparpillés
je te bois
sur la peau du papier
le pressant contre mes lèvres
je te calque sur ma langue
peau, chair, crâne, doigts, sexe... tout y passe.


Au-delà du cahier ouvert bientôt nue
de la tête au pieds
je m’écarte
je m’abandonne
tu m’arroses
m’éjacules
tu me pluies d’encre
corps et visage
quand toi tu
doucement m'embrasses
quand toi tu
entre parenthèses
peau, chair, crâne, doigts, sexe…
tout s'y passe
d'évidence.


*

T’écrire encore... toi, la ville, la nuit

à E.

(... ) déambulations dans la ville lumières et néons clignotants images brèves couleurs vives nuit
noire entre les bagnoles où vais-je nulle part encore ?
Rêves en marche idées persistantes de toi hachées menues à pas comptés sous paupières je te vois
vingt-quatre images secondes


- un lit défait... une chambre... dans laquelle... peut-être nous... corps chauds... viendras-tu ?


dans la ville je marche léger (légère) vers nulle part rien à mes basques entre les pierres vieilles

les pavés noircis quelques fissures quelques mousses quelques angles obtus pour briser le regard
quelques lignes de fuite mais rien n'y fait nulle part nada cette idée persistante de toi demeure


- chambre d'hôtel... avec vue sur toitures... que dis-tu ? J'aime tes fesses... ton cul... tu dis... j'aime
ton... et puis quoi encore ?... t'embrasser... oui... t'embrasser et...


errements sur les trottoirs pensées clignotantes de toi qui suis-je devenu(e) ? Un(e) autre tout(e)
autre oui, mais lequel (laquelle) ?


- ... être celles qui ... toutes celles qui... celles qui sont toutes tiennes ... toutes à la fois.. c'est ce que
je veux... te dis-je... toi... tu ajoutes ... tu es belle à genoux aussi... viens... tu ajoutes... viens !


dans la ville légèrement vêtu(e) je vais au milieu des foules mêler mes solitudes à d'autres solitudes
sous la courbe d'un porche où se prennent furtivement les lèvres je dépose mes rêves de toi je les
fourre avec ma langue dans ta bouche sur ta langue idées fixes


- prends mes lèvres ...ma bouche... bouche à bouche ... nos langues, nos langues, nos... oui …
donne-moi ta langue... dis-tu... moi à toi .. oui, je donne... embrasse... embrasse... embrasse
encore...


arcs et voûtes des bouches pour arrondir la peine adoucir les chagrins qui couvent dans

les poitrines les ventres sous les vestes les chemises sous la robe frissonnante des foules


- toi ... je te... toi... tu... tu trembles... moi aussi !


pensées douces persistantes de toi dans la ville noire entre les voitures en marche lente de nuit

à pas comptés pupilles dilatées je rêve j'invente des conjonctions des conjonctures des hasards

de toi qui n'en sont pas j'écris sur les vitres salies des bagnoles ces trucs de filles percés de flèches


- je t'aime


j'écris avant pendant après la pluie...


- je t'embrasse


je t'embrasse


- tu m'es nécessaire


j'écris ce qui compte


j'écris... je t'écris... je t'additionne... je te multiplie (...)


*

Instantané(s) #1

Pieds nus dans la rosée
je marche
sur la respiration
de la terre.
Je précède le soleil
en heures courbes.
Autour de moi
aériennes
ombres et lumières
avancent décousues
jusqu'aux racines
de l'aube.


Tu es
à mes chevilles
et mes poignets
le fil d’Ariane
de mes nuits humides.
Tu es
à mes lèvres
et ma langue
une mathématique
exquise.


Parmi les herbes fluides, je file déliée.
Je rêve de toi, sans sommeil.
Ne comptent
ni les heures sombres
ni les lunes torrides.


Inlassablement
ardente et fébrile
je te découpe au ciel.
Je brode pour toi
lentement
ces petits morceaux d'azur
de toi, reliés, recousus
entre mes doigts tremblants
sur le draps doux
de mes nuits blanches.


Je te brode
et te dentelle
jusqu'à l'aube.
Pour toi
légère et nue
je somnambule.


*

Nous avons nous

Nous avons des enfants
quelquefois nous les faisons rire
nous avons des chats
que nous caressons
nous avons des livres
posés sur des étals
comme des veaux d'or
des écrans pour marier nos solitudes
nous comprendre à demi-mot
à demi-mensonge
mais nous ne savons rien
les uns des autres
nous vivons tant séparés
que nous avons peu de choses
si peu de choses vraies
à faire et à dire en vérité
tout n'est que vanité
et pourtant...
il faut croire que pour vivre
cela suffit encore.


Nous avons ce que le ciel
dans nos yeux, éclaire et obscurcit
les questions en suspens
que nous léguerons
aux arbres et aux vents
nous avons le goût
de la terre fraîche
entre nos dents
de l'humus sur la langue
la mémoire des algues
celle des bêtes en sommeil
lascives entre nos jambes
des mots d'amour et de désir
dans nos bouches
ce vif-argent antique des poissons
nageant dans l'encre sympathique
de nos salives
nous avons cette eau ardente des baptêmes
des baisers salés sur notre peau
nous avons tout
liés que nous sommes
par un fil invisible de soie rouge
qui tremble et vibre entre nos doigts


Nous avons nous
entre nos mains
larmes et rires
dans nos baisers
nous avons nous
derrière nos lèvres
nous avons tout
cela suffit pour vivre
pour faire grandir
nous et le monde.


*

 

Landscapes

& 9 Murmures


 

bottom of page